Il n’est pas facile de proposer un
modèle de leadership politique efficace en étudiant l’histoire des nations. Ces
leaders qui ont marqué l’histoire sont si différents : Hitler, Mussolini,
Mahathir, Mandela, Lee Ku YEW, etc. Le terme lui-même peut revêtir des sens
contradictoires. La doctrine oppose ou confronte différents styles de
leadership dictatorial, dictatorial bienveillant, participatif, consultatif,
transactionnel, transformationnel, mixtes, etc. En outre, ces styles peuvent
refléter les préférences individuelles ou la culture dominante d’une société.
Néanmoins, quelques caractéristiques retiennent notre attention: la capacité de
proximité et d’écoute, cesser de se parler à soi-même et de se contempler, bien s’entourer, savoir quitter et partir à
temps, le courage à payer le prix qu’il faut par des sacrifices et la volonté
de laisser un grand héritage.
Le
dilemme de la gouvernance de proximité : s’écouter et se parler à soi-même
Une caractéristique commune aux
grands leaders transformationnels est la forte envie de vouloir conduire les
gens vers une destination, d’un point A à un autre point B. Ceci comporte aussi
bien des avantages que des contraintes. Le leader dont nous parlons doit être
capable d’assumer la solitude du pouvoir, de s’imposer des sacrifices au plan
personnel, de sa fortune, de ses amitiés, de sa vie familiale, etc. En outre,
il devrait être capable de promouvoir
des valeurs d’exemplarité, oser persuader les gens à intérioriser des
sacrifices, les convaincre qu’à terme maintenir le statu quo actuel ne leur est
pas profitable et est même dangereux. Il a cet impérieux devoir de
déclencher une nouvelle connaissance et prise de conscience. Le courage devient
alors une qualité essentielle. Reste à savoir si les gens qui se lancent en
politique le font pour les raisons que nous venons d’évoquer.
Il y a aussi cette erreur
d’assimilation entre leadership, le titre et le poste : le leader n’est
pas le titre, ni le poste. Il y a aussi ceux qui disent aux autres ALLEZ-Y
alors que le véritable message du leader transformationnel : ALLONS-Y, Oui,
nous pouvons, etc. C’est qu’en fait, être détenteur d’un poste ou d’un titre de
président de la république, de ministre, PDG ou autres, fussent-ils
« prestigieux », ne suffit pas à qualifier quelqu’un de leader
transformationnel. C’est vrai : il y a le mythe du leader qui aurait
réussi seul par son propre talent ; mais on ne réussit pas seul les très
grandes œuvres de transformation. On y arrive avec une équipe et des talents
triés, des visions partagées, l’adhésion à un projet, des institutions fortes,
le courage de se séparer des saboteurs et de faire face aux détenteurs de
rentes, d’optimiser les ressources, etc. La hantise de la réélection et l’incapacité
à construire un cercle rapproché facilitant des alliances stratégiques pour le
vrai changement, non pour les sinécures, les transhumants et les débauchages,
constituent une dimension du leadership politique transformationnel. Dès lors,
le leader transformationnel est confronté aux dilemmes suivants : Qui
écouter ? A qui parler ? A soi-même ? A son entourage ? Au
peuple et aux électeurs ?
Regardez ces gens qui
demandent vos voix! Réfléchissez-y deux fois avant de voter : lorsque le
dilemme entre MOI, JE, VOUS, LES AUTRES est un sérieux problème pour le candidat,
pourquoi prendriez-vous le risque de faire confiance à un tel leadership ?
Des messages ciblés qui
mobilisent, apportent de la valeur et de
la différence, ainsi que la volonté de s’entourer de collaborateurs
loyaux, compétents et indépendants qui conseillent sincèrement et sans craintes,
sont tout aussi importants. Si vous avez été un grand responsable dans la vie,
vous avez surement appris une leçon : une erreur de recrutement se paie
cher, peut paralyser tout un changement de sorte que le Professeur Edward HESS
de Darden University en arrive à conseiller : « recrutez lentement,
licenciez rapidement ». Par de tels choix, le leader développe ses propres
capacités d’écoute et d’attention soutenue et peut ainsi éviter des erreurs et
des conflits inutiles et coûteux. Pourtant,
dans notre contexte, trop d’hommes « politiques »
font le contraire. On constate des articles ou des débats politiques télévisés
qui sont des bavardages violents et désordonnés et qui finissent par lasser
tant il s’agit de « politiciens » qui se parlent à eux-mêmes et entre
eux, au lieu de regarder l’écran et de parler à l’audience en face : les
citoyens, les contribuables, les créateurs de richesses, les électeurs, etc.
Peut-être s’agit-il aussi là de ruses de gens qui n’ont rien de consistant à
proposer, d’un gaspillage de ressources et d’énergie, d’un moment où les gens
préfèrent surfer sur autre chose, car il n’y a aucune incitation à regarder ou
écouter de tels soliloques. En arriver,
à force de s’écouter ou d’écouter un entourage courtisan, à croire à ses
propres « propagandes » et à les intérioriser comme des réalités
tangibles que l’on est le seul à sentir ou à voir, est une forme de folie qui un
jour peut mener à un surprenant désastre. Le mot est lâché :
derrière ; il y a cette option de propagande comme levier de conservation
du pouvoir. Mais pourquoi l’opposition passerait-elle l’essentiel de son temps à disserter sur le programme de l’autre
pour tomber dans ce piège des querelles manquant à un devoir et une stratégie
essentielle qui est de suffisamment expliquer aux électeurs leur propre programme
alternatif ? La stratégie de propagande utilisée ne vise ni plus ni moins
à isoler et détourner l’attention. Pour parler comme Chomsky, elle vise à
distraire des vrais enjeux pour empêcher qu’on en discute et à brouiller les
pistes[1].
En arriver aussi à
exclure toute perspective de contrepouvoirs ou de points de vue différents
conduit au même résultat, à l’inverse de ce qui se passait dans la Rome antique
avec ces esclaves qui avaient le privilège de glisser aux oreilles de
l’empereur ce rappel « Souviens-toi,
tu n’es qu’un homme » [2]. Cela rappelle aussi cet adage de notre belle
culture parfois négligée : « SA GUEMIGN XASAW NA SA DOMOU NDEYE MO LO
KO WAX ». Allez-le leur dire à certains qui oublient que la démocratie,
c’est aussi le débat sain, la différence et vous aurez peut-être bien des
ennuis, étrangement des insultes.
Deuxième
partie – Savoir quitter et se préparer à partir à temps.
Savoir
quitter et se préparer à partir à temps
C’est difficile de partir, pour
nous tous, de se séparer des bébés auxquels on a donné naissance, de renoncer
aux rêves inachevés de notre propre vie que seuls d’autres héritiers
parachèveront, que la fatigue les obstacles et les contraintes vécues, les
saboteurs du changement auront empêché
de concrétiser, etc. Les causes ne manquent pas…
On a déjà vu des leaders ne partir
que le jour même de la grande défaire, sous la pression de leur inévitable
fuite, de la rue surexcitée, d’une foule vociférant, de manifestants décidés et
de corps ayant jonchant les rues quelques jours avant. Ce n’est pas l’idéal, ni
pour ce leader qui fuit ainsi, ni pour les héritiers d’une démocratie
brusquement tronquée. Les printemps de révolte n’ont pas toujours tenu les
promesses du bien-être, ni d’une
nouvelle et meilleure démocratie confinée aux questions électorales et
politiques, excluant l’économique, le social, une gouvernance qualitative digne
de ce nom. On serait tenté de penser que Socrate a raison : les grands
leaders auraient dû être les plus sages d’entre nous. Cependant, quand on
regarde l’histoire humaine et singulièrement celle du continent, cela s’avère
comme un rêve impossible. Etre un leader transformationnel qui crée d’autres
leaders capables de les remplacer, combien en avez-vous connu ? Un enjeu, c’est
alors de disposer de leaders capables d’échapper aux lambris dorés du pouvoir,
aux pièges des routines, d’anticiper le sens de l’histoire. Ceux-là sont fiers
de se faire eux-mêmes, par leur propre effort et génie, et non d’être faits par
la politique politicienne. Ces grands leaders transformationnels sont capables
de baliser de nouveaux chemins, de se pénétrer des contours du futur, loin du
brouhaha de la grande foule, de s’ajuster à temps par une sorte
d’intuition « quasi-divine » à l’instar de cette fameuse formule
« La prière, c’est quand l’homme
parle à Dieu, mais l’intuition, c’est quand Dieu parle aux hommes ».
Il est ainsi difficile à ces gens, prisonniers des arcanes du pouvoir,
d’échapper aux pièges qui déforment le dirigeant et son entourage face à leurs
courtisans et transhumants qui réussissent à les persuader d’une sorte
d’invincibilité et d’immortalité. Cet entourage si peu talentueux pour de
telles grandes œuvres réussit alors à vous faire oublier que l’histoire regorge
de dirigeants chassés du pouvoir par les votes, par les révoltes populaires,
les coups d’état, la guerre tribale parfois longue et fratricide, etc. Ne soyez
pas étonnés qu’avec de telles mentalités de futurs « WAX WAHET »
perdurent à l’horizon. Et là, la sagesse devient un impératif rare parmi ces modèles de politiciens que vous
avez toujours connus et élus.
Au fond, derrière ces questions, il
y a l’enjeu de l’humilité et de la claire compréhension de ses avantages, et
plus fondamentalement de la sagesse qui semble n’être pas la chose la mieux
partagée du monde. Il y a aussi ces deux fameuses lois de l’héritage et du
sacrifice que John Maxwell considèrent comme des traits distinctifs des grands
leaders transformationnels. Nous y reviendrons.
L’auteur :
Conseiller en Gouvernance publique du
Président Abdou MBAYE et membre du Conseil
National du parti Alliance pour la Citoyenneté et le Travail, Abdou Karim GUEYE
a été Inspecteur général d’Etat pendant près de trente ans et ancien Directeur
général de l’Ecole Nationale
d’Administration et de Magistrature du Sénégal. Assistant technique
international auprès du gouvernement de la République de Djibouti, de 2003 à
2008, il a appuyé ce pays à mettre en place une Inspection générale d’Etat et a
également exercé les fonctions de Secrétaire
exécutif du Forum des Inspections générales d’Etat d’Afrique et institutions
assimilées.
Article
déjà paru sur ce blog : Résister,
changer et transformer la politique : pourquoi ?
Prochains articles :
_
De
la vertu publique et morale en politique.
_
Choisir
le bon leadership politique et bien d’autres encore.
_
L’éthique
dans tous ces états.
_
D’autres
encore.
[1] Cf. Necessary
Illusions. Noam Chomsky
[2] 8
leadership lessons from history : world economic forum
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